Un phénomène étrange se manifeste sous nos yeux. C’est la référendophobie des oppositions ivoirienne et burkinabé, que je définis comme une peur bleue des élections. Mais pourquoi diantre tremblent-ils tous, ces gens du FPI de Gbagbo et de l’UPC de Diabré, à l’idée que leurs peuples respectifs soient consultés sur les grandes orientations de leur propre avenir ? A contre-courant de ce que l’on pouvait attendre, le phénomène de la référendophobie des oppositions exige de nous-mêmes une nouvelle pédagogie du regard, pour comprendre d’un entendement nouveau l’inouï de cette manifestation. Un paradigme ancien s’est en effet, incontestablement effondré dans les méandres des analyses paresseuses du présent. Voici donc la pensée morte qui n’explique plus rien. Les pouvoirs africains, souvent issus des structures anciennes de l’ordre colonial, nous avaient habitués jusqu’ici à leur frilosité caractéristique en période électorale. Pourquoi ? L’explication est tout aussi traditionnelle. Se sachant vomis de longue date par les populations qu’ils exploitent sans vergogne, les pouvoirs issus de la logique de l’exploitation de l’homme par l’homme ont naturellement horreur de la voix du peuple, puisque celle-ci sanctionnerait selon toute logique la forfaiture dont ils sont coupables. Dans cette perspective le trucage des listes, des commissions et des conditions de dépouillement, mais aussi et surtout le contrôle militaire des institutions de proclamation des résultats électoraux furent longtemps considérés à travers toute l’Afrique comme le B-A-BA de la survie des dictatures.
Or que se passe-t-il justement quand c’est
l’opposition qui ne veut pas de la consultation des électeurs ? Que se
passe-t-il en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso où viennent de s’ériger en forts
en thème du débat national, des opposants politiques qui aspirent à diriger le
peuple sans consulter le peuple, à prendre le pouvoir sans risquer la sanction
de ceux pour qui ils souhaiteraient l’exercer ? Que se passe-t-il quand
l’opposition politique campe dans une référendophobie qui cache mal le refus de
la démocratie elle-même comme système de concurrence réglée, loyale et
pacifique en vue de l’exercice ou de la perte du pouvoir d’Etat ? La
présente tribune est consacrée à méditer cette bien étrange référendophobie des
oppositions. Il s’agira d’en étudier les causes, dans une certaine analyse du
rapport de forces politiques réelles ; il s’agira ensuite d’en éclairer la
rhétorique mensongère, dans une défense de la démocratie qui s’inspire plutôt
du populisme et du totalitarisme tropicaux ; il s’agira enfin pour nous
d’en esquisser les développements ultérieurs, dans une scénarisation anticipée
du ridicule qui attend probablement nos référendophobes des oppositions
ivoirienne et burkinabè.
Des causes de la référendophobie
des opposants ivoiriens et burkinabè
La
plus évidente des raisons de la peur des élections par le FPI de Gbagbo et l’UPC de Diabré, c’est la certitude
anticipée de les perdre si elles ont effectivement lieu. La référendophobie
utilisera des tactiques négatives ou positives, selon l’évolution du contexte.
D’abord négativement, souvent : pour ne pas les perdre, il faut donc les
empêcher, les discréditer, les boycotter ou les saboter. Ensuite positivement,
quand les manœuvres négatives ont échoué : on essaiera d’éliminer les
candidats les plus impressionnants, d’organiser un scrutin étriqué,
« calamiteux », pour se faire élire dans un réduit pseudo-populaire,
en décourageant les électeurs des rivaux éliminés qui préfèreront l’abstention
ou se rabattront sur le candidat le plus proche de leurs intérêts sacrifiés.
Illustrons
ce qui précède par des faits. Dès 1995, pour ce qui est du Front Populaire
Ivoirien, s’est imposée aux esprits de certains stratèges de ce parti, la
conscience d’être une opposition minoritaire dès lors qu’un autre géant de
l’opposition se dressait après l’éclatement du PDCI-RDA : le RDR placé dès
1994 sur les fonts baptismaux par l’intrépide Georges Djéni Kobina. Si Laurent
Gbagbo, leader du FPI, peut dire à
l’occasion du coup d’Etat de 1999 contre le président Bédié qu’ « il
y a des coups d’Etat qui font avancer la démocratie », c’est parce qu’il
est conscient que l’accès du FPI au pouvoir ne pourra se faire que par
effraction, et non au terme d’une élection régulière. Manœuvrier comme pas
deux, il isolera la junte de Guéi du RDR et d’une bonne partie du PDCI, en
2000. Gbagbo conduira Guéi à croire qu’il peut gagner les élections
présidentielles dans un duel étriqué avec lui, Bédié et Ouattara ayant été
soigneusement éliminés par une Cour Suprême corrompue par le FPI. Et au final,
le larron emportera la mise, en renversant l’imprudent général Guéi en octobre
2000 par une association d’une partie de l’armée avec la milice populaire du
FPI contre l’homme de Gouessesso qui s’enfuira, sonné groggy par le Boulanger de Mama. En 2001, le FPI accepte une
confrontation aux Municipales avec les autres formations politiques
principales, le PDCI et le RDR, qu’il a pourtant contribué à éliminer des
présidentielles. C’est le RDR d’Alassane Ouattara qui s’avère alors être le
premier parti municipal de Côte d’Ivoire. Les derniers sceptiques comprennent
alors pourquoi le pseudo-démocrate, Gbagbo, refusa de reprendre de façon
inclusive l’élection présidentielle de 2000, alors qu’il allait tenter plus
tard de vendre la poudre du recomptage électoral lors de la crise 2010-2011.
C’est donc précisément pour ces mêmes raisons que le FPI peine à s’engager
encore aujourd’hui dans une Commission Electorale Indépendante pourtant mieux
représentative des forces politiques en présence en Côte d’Ivoire. Conscient du
résultat probable de la présidentielle ivoirienne de 2015 en faveur du candidat
Alassane Ouattara, le FPI sait que sa défaite à la prochaine élection montrera
par A+B qu’il ne méritait en rien le statut de parti de gouvernement.
Quant
à l’opposition burkinabè, aujourd’hui dirigée par son Chef de file, Zéphyrin
Diabré, comment ne pas voir ce qu’elle craint dans le projet référendaire
concernant l’article 37 portant limitation des mandats présidentiels au Burkina
Faso ? Le fond du débat n’est pas constitutionnel, on le sait. L’article
37 fait partie des clauses effectivement révisables de la constitution du
Burkina Faso. Le fond du débat est foncièrement politique, à la limite même de
la politique politicienne. C’est la conscience de la défaveur du rapport de
forces populaires qui empêche l’opposition d’accepter le défi électoral que lui
lance le pouvoir burkinabè. Ironie de l’histoire, signe des temps démocratiques
nouveaux : pour poursuivre son œuvre, le Président Compaoré n’oppose pas,
comme bien d’autres chefs d’Etat africains l’auraient fait, son armée à son
peuple. Le Président Compaoré oppose pacifiquement et légalement la voix du
peuple aux prétentions de l’opposition politique. Pour ce faire, il faut avoir
confiance dans le peuple. Or les élections de 2010 ont montré que le Président
Compaoré, de l’avis même de son opposition, est l’homme politique le plus
populaire et le plus adoubé par les populations de son pays. S’il en est ainsi,
Diabré et ses amis de l’UPC ont vite fait leurs calculs, profitant
opportunément de la défection récente de
quelques cadres du CDP qui furent longtemps réputés très proches du Président
Compaoré, tels Roch Christian Kaboré ou Salif Diallo. Selon les calculs des
Diabré et Compagnie donc, si le gagnant des élections présidentielles de 2010
sollicite un amendement de l’article 37 par le peuple en 2014, il sera probablement
approuvé par celui-ci, ce qui préempterait de fait les résultats de la
présidentielle 2015 qui arrive à grands pas au Faso. Au fond du stratagème,
l’opposition burkinabé pense pouvoir ne faire qu’une bouchée d’un CDP
débarrassé du candidat Compaoré. L’opposition croit-elle pouvoir tricher aux
élections 2015 si le poids lourd de la politique burkinabé, le président Blaise
Compaoré en était absent ? La frénésie des opposants burkinabé porte à le
croire. Le fameux Tout-Sauf-Compaoré est sans doute une manière de vouloir
conduire le Burkina Faso à une élection calamiteuse parce qu’étriquée en 2015.
Comme le FPI opéra en octobre 2000 en Côte d’Ivoire, dans le dos de ses
concurrents les plus sérieux…
Les
tactiques négatives de Diabré et Cie sont connues : tentative de contrôle
de la rue pour opposer le peuple aux institutions constitutionnelles, menaces
de boycott des présidentielles à venir, chantage à la guerre civile en cas de
convocation d’un référendum, instrumentalisation de toutes affaires
collatérales pour flétrir le pouvoir, incitation des jeunes à la confrontation
avec l’armée, etc. Si les tactiques négatives ne fonctionnent toujours pas, on
essaiera les tactiques positives : incitation des cadres du CDP à des
candidatures fictives, promesses de partages généreux du gâteau national aux
cadres du CDP, tentatives d’obtenir le satisfecit des grandes puissances à la
nécessité d’une alternance burkinabè à tous prix, recherche d’une situation de
négociation favorable à la constitution d’un gouvernement d’union nationale
dominé par l’opposition, etc. La référendophobie de l’opposition burkinabé,
comme celle des frontistes ivoiriens, est de toutes façons, nous l’avons assez
montrée, enracinée dans la claire conscience de leur minorité politique.
Perspectives d’un branle-bas des
opposants référendophobes
Les
opposants ivoiriens et burkinabè qui craignent les élections nous lancent au
fond un grand appel de détresse qu’il nous faut entendre : la soif aveugle
d’exercer le pouvoir d’Etat est une source de souffrances incommensurables pour
tous ceux qui ne peuvent pas s’en distancier. Ils n’en peuvent plus d’attendre.
Ils ont fait des promesses de faste et de joies vertigineuses à leurs clans
respectifs. Les avantages des meubles de la république les obnubilent, dans une
ferveur quasi religieuse, où l’accès au pouvoir a valeur d’accomplissement
messianique. Ont-ils seulement bien compris ce qu’est la politique au plus
noble sens du terme ? J’en doute. La détresse des oppositions
référendophobes nous alerte sur un phénomène africain plus large :
l’incompréhension du jeu démocratique par bon nombre d’entre nous.
A
demeurer dans cette posture de défiance envers les peuples, dont ils craignent
l’expression électorale, autant lors des référendums que des élections municipales,
législatives, sénatoriales ou présidentielles, les opposants du FPI de Gbagbo
ou de l’UPC de Zéphyrin Diabré nous convainquent d’une chose : pour eux,
l’alternance est la fin en soi de la politique et tout système politique qui ne
leur fait pas profiter des avantages personnels de l’alternance serait à
détester et à combattre. Est-ce bien raisonnable ? Revenons aux
fondamentaux de la démocratie !
La
démocratie est un système politique caractérisé par l’organisation régulée de
la concurrence loyale des individus et des groupes pour l’accès au pouvoir, la
gestion et la transmission du pouvoir d’Etat. Etre dans l’opposition, ce n’est
pas avoir la garantie totale de parvenir nécessairement au pouvoir, en
démocratie. C’est au contraire prendre aussi conscience du risque constant
d’être en deçà des attentes populaires et de subir la sanction du choix négatif
des citoyens. L’alternance ne se décrète pas en démocratie, elle se mérite. Si
être libre, c’est pouvoir choisir, ajoutons aussitôt que c’est donc aussi pouvoir
dire « non ». Une opposition politique qui a compris le jeu de la
démocratie doit s’attendre et assumer autant le « oui » que le
« non » possibles du peuple à ses prétentions. Une opposition
politique qui respecte le droit des peuples à choisir leurs dirigeants ne
tentera donc pas de se substituer au peuple quand sont soulevées des questions
décisives pour son avenir. Elle s’efforcera d’instruire le peuple de son point
de vue et d’attendre que le peuple lui-même, unique souverain en démocratie
bien comprise, arbitre les prétentions affirmées du pouvoir comme celles de
l’opposition. La référendophobie des opposants burkinabé de l’UPC et ivoiriens
du FPI n’est dès lors que le nom voilé de la haine de la démocratie et du
mépris des peuples africains par ceux qui sans cesse, s’exercent à confisquer les
voix des citoyens sans en avoir reçu le mandat. Or nier le droit du peuple de
s’exprimer sur les grandes questions d’intérêt général, n’est-ce pas déclarer
la guerre au peuple ? La référendophobie est indéniablement une tentative
d’assassinat de la démocratie. Il appartient donc aux démocrates africains de
guérir les référendophobes par une pédagogie active de terrain et une ferme
défense de l’intérêt général. Plus les référendophobes perdront leurs illusions
d’être le peuple à la place du peuple réel, mieux la démocratie s’en portera.
C’est tout le mal que je leur souhaite.
Une
tribune internationale de Franklin Nyamsi
Agrégé
de philosophie, Paris, France
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